Il vous salue comme s’il vous connaissait depuis toujours. La verve est modeste et avenante. Le contact fraternel. Tomer Heymann fait partie de ces gens qui vous mettent à l’aise dès la première rencontre. Séducteur et simple. Assoiffé d’échanges, le réalisateur israélien n’hésite pas à sécher une projection en Allemagne pour découvrir son public toulousain. Honorer aussi la diffusion, en avant-première nationale, de son film documentaire I shot my love… Toulouse. La date n’est pas fixée mais il y reviendra en touriste avec son fiancé. « Andreas aime beaucoup les villes de cette taille, avec autant d’énergie culturelle ! » Andreas, bel apollon rencontré au Berghain Panorama Bar, à l’issue de sa présentation officielle de Paper Dolls à la Berlinale en 2006. Andreas, danseur blond, yeux bleus, au naturel chavirant bien éloigné des stéréotypes gays et à la franchise attendrissante. Plan cul d’un soir qui meut en une relation d’amour et d’amitié. C’est cette nouvelle muse que Tomer, dont le grand-père échappa au Nazis, commence à filmer dans une chambre d’hôtel, lui infligeant un interrogatoire maladroit sur la compatibilité de ses origines avec leur relation. « C’était stupide ! Je me sens honteux. Je regrette ces questions insistantes au sujet du nazisme », se blâme le quadragénaire. Insistantes. Comme l’est sa caméra, insistante, intrusive.
Melting-pot des sentiments Né en 1970 dans le petit village de Kfar Yedidia, cet obsédé de l’image enchaîne les séries et les documentaires très inspirés de sa vie personnelle et de son entourage. Riche d’une quinzaine de réalisations, sa boîte de production montée avec l’un de ses frères l’envoie remporter des awards dans les festivals de films du monde entier. Taïwan, Lisbonne, Moscou… A lui seul, I shot my love est présenté dans pas moins de douze pays. Monsieur Heymann voyage, passe d’hôtel en hôtel, un mini portable sous le bras. Sans vouloir se montrer impoli, il suspendra votre conversation pour vérifier ses mails, booker un vol. Et, toujours aussi décontracté, reprendra son récit. Il vous confiera sa passion pour le ballon rond, réceptacle de son énergie débordante (« Ne m’emmerde pas quand je joue au foot ! »), vous lâchera l’adresse du café Orna & Ella, à Tel-Aviv, où il travailla quelques années comme serveur, où vous trouverez « les meilleurs pancakes à l’orange d’Israël. » Les yeux brillants, il évoquera ses virées en vespa dans les ruelles étroites et secrètes de la capitale avec Andreas « qu’il pensait à ses côtés pour deux semaines et qui restera finalement quatre ans. » Et puis il y a la route embellie par un coucher de soleil inoubliable, les soirs de shabbat, pour rejoindre avec son amoureux le « motherland ». Noa Heymann, son embonpoint et sa cuisine. La mère, si ouverte d’esprit et si israélienne. La confidente que l’œdipe tarde à éloigner et pièce maîtresse de la relation triangulaire, toile de fond de la réalisation cinématographique du fils prodige. Tomer témoigne. Ecoute et apprend. Chaque rencontre est une nouvelle découverte dont il ne se lasse. « Accompagner mes films les rend plus vivant pour moi. Je m’enrichis d’échanges au sujet de nos vies, nos expériences, nos émotions. Le jour où je m’ennuierai, j’arrêterai tout ça… » Spontané, il rejette l’intellectualisme, reconnaît ses erreurs, les maladresses de ses productions. Il filme quand il a envie de filmer, ne se pose pas de question. « Je n’ai pas essayé de faire quelque chose de trop défini. Si vous cherchez à comprendre le pourquoi du comment, c’est que vous ne suivez pas avec votre cœur. » Lui shoote par instinct. S’implique et compose. Quitte à gêner. Il manque de pudeur lorsque ses protagonistes le supplient d’éteindre sa caméra. Andreas, transparent, est épris d’une vérité qu’un prêtre pédophile et une famille trop chrétienne masquèrent durant sa jeunesse. Le jeune Allemand apprend au caméraman à ne plus jouer. Andreas refuse d’être acteur, il préfère son rôle de partenaire. I shot my love traite évidemment de religion. Tomer, persuadé que « les juifs devraient arrêter de se positionner en victimes », n’hésite pas à évoquer « une folie qui détruit toute la vie. J’éprouve de la haine pour ce qui est commis au nom de la religion. Dans la rue, je veux rencontrer des musulmans, des juifs, des bouddhistes… Je prône le mélange interculturel. » I shot my love. Comme « J’ai filmé mon amour » ou « J’ai tiré sur mon amour », au risque de le perdre. Tomer et Andreas se sont séparés, puis remis ensemble. Entre deux tasses de thé vert, l’Israélien fait le fort, se protège : « Je ne sais pas ce que l’avenir prédit à notre couple. Personne ne peut dire. Que sera sera ! » I shot my love, histoire d’amour personnelle et universelle, émouvante, reste avant tout un apprentissage. Fait de certitudes et de remises en question. Universellement simple. Une expérience, un partage dans lequel le choc des cultures exacerbe la passion.