Volontairement ou pas, elle s’impose. Me fixe d’un regard bouffi de sommeil. M’analyse, me déstabilise. J’hésite à l’interviewer. Sur pellicule, sur pages blanches comme dans la vie, Wendy Delorme est une activiste. Une féministe pro-sexe. Elle ne cache rien, met à jour tout, décomplexée et fière. Déséquilibrante, elle pousse la provocation à son paroxysme, à la frontière fragile du correct et de l’incorrect, du montrable et du banni. Elle dévalorise l’intimité d’un corps pour banaliser l’offrande sur la scène publique. On aime ou on n’aime pas, on cautionne ou on ignore. On se retrouve bouleversé par d’interminables contradictions mentales. Ecrire sur Wendy Delorme force inexorablement à taire son émoi. A rester objectif. Exercice impossible qui, par honnêteté, m’encourage à témoigner en mon propre nom. Ce sera Je ! Elle en a fait son icône. Dans Insurrections, publié au Diable Vauvert en 2009, le poing court sur toutes les pages, sur tous les sexes, au plus profond de tous les vagins. Le sien, ceux des innombrables amantes de passage qu’elle masculinise toujours, les « ils » qu’elle baise. « Les deux organes les plus compatibles sont la main et le vagin », assène la jeune franco-allemande dans ce que j’appellerais un requiem sadomasochiste. Le poing, symbole d’un militantisme politique assumé, que la « conquistador de la rue » oppose parce que « le monde lui appartient… » Parce que Wendy est une femme forte, incisive, fatale. Déambuler à poil en plein Marais ? La Parisienne s’interroge : « Je ne me rends pas compte d’être provocatrice. C’est un plaisir égocentré mêlé à une incompréhension politique : pourquoi cacher notre cul et pas notre visage après tout ? Qu’est-ce qui est le plus aliénant ? Porter une burqa ou apparaître en string sur une affiche ?… » Elle s’arrête estimant que ce n’est pas à elle de parler de voile islamique. Se remet en question : « Et pourquoi, en même temps, suis-je mal à l’aise, nue, devant un gamin ? C’est que je suis en quelque sorte, moi aussi, prise par les codes… » Blondes sur canapé Docteur sur les stéréotypes et les normes de genres dans la publicité (titre un peu long mais ô combien explicite), Wendy Delorme arrive dans le performing après avoir assisté à une pièce burlesque. Clown dans l’âme, l’expansive se transforme en drag king avant d’intégrer une troupe. Blonde évaporée nymphomane, Wendy Baby Bitch (son nom de scène bien sûr !) et son acolyte de scène se produisent outre-Atlantique. En 2007, elle publie Quatrième Génération chez Grasset. Son affection politique se retrouve dans « Too much pussy ! » pour lequel elle peaufine le casting : sept travailleuses du sexe, sept performeuses, sept vraies activistes. Une tournée marathon, une mauvaise gestion de la fatigue et « une expérience humainement très dense ». Et une énième collaboration avec Emilie Jouvet, un perpétuel échange. Appuyées l’une contre l’autre sur le grand canapé blanc, les deux chipies se taquinent. Même blondeur, même rouge à lèvres qui tache, même désinvolture. « On est deux lionnes à forte personnalité et très complémentaires. » J’aurais opté pour conserver le porno dans la sphère individuelle, privée, celle qui induit un transfert émotionnel jouissif et créatif. Fantasmatique. Wendy Delorme a choisi, elle, le grand jour, le chamboulement de la pensée dominante. L’envahissement des cerveaux et la péroraison des discours sur la sexualité féminine. J’introvertis les scènes les plus bandantes, la hardeuse les extériorise. A l’écran, la banalisation des postures du X m’ennuie. A la force de ses écrits, on a envie de se laisser prendre même si je rejette la violence et les poings. Et quand Wendy s’identifie, j’acquiesce et fais secrètement mienne une vérité quasi universelle : « Une salope de la race des romantiques, des amantes, une baiseuse fleur bleue ».